Madagascar: Une société à bout de souffle

Publié le par ESPACERDA

 

MADAGASCAR: Une société à bout de souffle

 

Il y a deux ans, Andry Rajeolina était porté au pouvoir par un coup d’Etat. Depuis, il ne cesse de promettre des élections. En attendant, le chaos s’est installé.



© AFP

Madagascar n’en peut plus. “L’île heureuse” d’hier est à genoux. A Antananarivo, toute la ville raconte comment, il y a quelques semaines, des bandes armées ont investi de nuit un quartier populaire, aligné les habitants des maisons pauvres, violé des femmes, maltraité les vieux et organisé des razzias sous la menace de leurs kalachnikovs. Tout le monde sait que des policiers véreux louent leur arme pour une nuit à quelques petits truands. La location d’une kalachnikov pour une nuit coûte 100 000 ariary [35 euros]. Et encore, au milieu des Hautes Terres (1 500 mètres), Antsirabé, la ville d’eau, le “Vichy malgache”, est plutôt calme et relativement sûr. Mais dans la capitale, on déconseille au vahaza, l’étranger, de quitter son taxi dès la tombée du jour, ne serait-ce que pour faire 300 mètres sur l’avenue de l’Indépendance, les Champs-Elysées de l’île.

L’endroit le plus sûr est peut-être la prison, du moins à Antsirabé, tant celle de la capitale est décriée pour ses conditions épouvantables : 2 600 prisonniers pour 800 places, sévices physiques, manque de gardiens, sous-alimentation. Loin des clichés misérabilistes, celle d’Antsirabé (500 détenus) passe pour un modèle dans toute l’Afrique : douches, toilettes séparées pour la grande chambre de 103 “lits”. Sœurs Nella et Agnès y déploient une énergie tout italienne à améliorer l’hygiène et à aménager la scolarisation et quelques occasions de gains pour une centaine de malabars accros désormais à la broderie. Cela n’empêche pas la justice à deux vitesses, qui peut voir un voleur de zébu condamné à une peine de prison à vie ou laisser deux tiers des 20 000 détenus de l’île en préventive depuis dix ans parfois.

Les Malgaches ont beau avoir la réputation d’être un peuple fondamentalement non-violent, qui a su canaliser l’agressivité par des normes sociales très fortes, la crise politique et économique, la misère urbaine minent désormais leur société. Le charme de la population, sa gentillesse, sa façon d’écarter les sujets qui fâchent et la culture du consensus ne parviennent plus à masquer les lézardes. Le banditisme, les braquages ou les feux de brousse attisés par la colère ne sont pas les seules expressions de la violence. “Lors d’un concours de scénarios pour jeunes cinéastes, j’ai été surpris de constater que sur 20 projets, 18 parlaient de la violence domestique”, rappelle l’organisateur d’un festival de cinéma. La crise a accéléré la confrontation de la société malgache avec les nouvelles réalités de la mondialisation et mis en péril les valeurs traditionnelles.

La communauté malgache est malade. A l’image de son gouvernement et de son président de transition, Andry Rajoelina, qui ne semblent plus rien maîtriser. Juste avant Pâques, l’Union européenne a interdit de vol les deux Boeing d’Air Madagascar qui assuraient la liaison avec la France, en raison de graves problèmes de maintenance. D’emblée, la presse gouvernementale y a vu un complot européen pour déstabiliser l’équipe en place. Antananarivo bruit de rumeurs de complots, de trahisons, de ralliements, de menaces de destitution depuis le coup d’Etat de mars 2009 qui a éjecté du pouvoir l’ancien président Marc Ravalomanana. L’entrepreneur avait fini par confondre la caisse de l’Etat avec ses propres affaires. L’achat d’un avion présidentiel pour 60 millions de dollars ou la location pour quatre-vingt-dix-neuf ans d’immenses surfaces agricoles au coréen Daewoo ont joué le rôle de détonateur pour une “révolution orange” vite récupérée par l’armée et le jeune maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, ex-DJ devenu un ambitieux affairiste. Les ministres qui se succèdent à un rythme soutenu ne semblent avoir qu’une ambition, “s’enrichir très vite avant le prochain remaniement ministériel”, admet un ancien ministre technocrate qui a préféré prendre du champ.

“A quoi bon se révolter, expliquera un jeune journaliste d’une station de radio locale. Rajoelina dit au monde entier que nous avons été les premiers, avant le printemps arabe, à chasser les politiciens corrompus grâce à la 'révolution orange' de 2009. Mais les affairistes qui entourent Rajoelina nous ont volé la révolution !”

Le “putsch de Rajoelina” était une manière de redistribuer le pouvoir à une génération plus jeune, frustrée de la confiscation par les “vieux présidents” Ravalomanana et Ratsiraka. Mais l’incapacité à revenir à un système démocratique illustre la profonde crise morale des élites et de la société civile, analyse l’ancien juge à la Cour internationale de justice Raymond Ranjeva, un juriste reconnu pour son intégrité et qui, comme descendant de la famille royale, jouit toujours d’une certaine autorité morale. Lui-même s’est “mis à disposition de la Nation pour sortir du cercle vicieux”, mais son appel ne semble guère entendu dans une société fascinée par l’attrait de l’immédiat.

Madagascar est devenue un pays paria, renié par la communauté internationale – Union européenne, Etats-Unis, Banque mondiale - qui assurait bon an mal an près de la moitié de son budget. En mal de reconnaissance, Andry Rajoelina, président de la Haute autorité de transition (HAT), parcourt l’Afrique australe pour rassurer ses partenaires sur son intention d’organiser des élections régulières d’ici à la fin de l’année ou au début de 2012. Mais ni l’Afrique du Sud ni les Etats-Unis ne font confiance à ce jeune président de 35 ans qui, après avoir promis de ne pas se présenter aux élections, a fait changer la Constitution en sa faveur ou qui est sans cesse revenu sur des accords de partage du pouvoir signés à Pretoria ou à Addis-Abeba.

Les pays donateurs continuent à soutenir l’aide humanitaire et alimentaire d’urgence à travers les ONG, mais ne veulent plus rien avoir affaire avec le gouvernement de transition. La gabegie qui préside aux finances de l’Etat est pointée du doigt par la Banque mondiale. Baisse de 13 % des budgets de l’éducation, et de 80 % pour la protection des forêts, mais hausse de 6 % en faveur de l’armée et de 300 % pour le budget du président qui décide seul de cadeaux électoraux (stades, hôpitaux), alors que le produit intérieur brut a chuté de près de 10 % l’an dernier.

A la suite des arrestations arbitraires et des violations des droits démocratiques, les Etats-Unis ont retiré au pays son statut de zone favorisée qui profitait de l’exonération des taxes dans le cadre de l’aide aux économies libérales africaines. Résultat : plus de 100 000 emplois supprimés dans l’industrie d’exportation, en particulier le textile.

C’est la population qui paie l’addition. A Antsirabé, la ville la plus industrialisée de l’île, au moins 20 000 emplois perdus, sans compter les artisans et commerçants qui profitaient de l’émergence d’une petite classe moyenne, souligne la maire d’Antsirabé, Olga Ramalason. La crise se mesure dans la rue à l’explosion des petits vendeurs de toutes sortes qui cherchent désespérément un client pour glaner quelques ariary. Il ne reste pratiquement plus rien des 4 500 emplois de MKlen, qui produisait 35 000 jeans par an pour les Etats-Unis. Même chose chez Cotona, le leader malgache du textile. L’industrie du coton, qui employait 120 000 personnes, s’est effondrée. On en voit les traces tout au long des 800 kilomètres de la N7 qui conduit au sud, au port de Toleara. Partout des champs de coton abandonnés. L’immense laiterie Tiko de l’ancien président Marc Ravalomanana, qui devait accueillir 4 000 vaches laitières, est pratiquement déserte. “Toute nouvelle demande d’aide ne sera plus reçue par la commune jusqu’à nouvel ordre”, annonce l’affichette placardée dans le monumental hall de l’hôtel de ville d’Antsirabé. Les municipalités sont elles aussi à bout de ressources, elles ne parviennent pas toujours à assurer les salaires des fonctionnaires. Alors que la pauvreté explose. Trois Malgaches sur quatre vivent désormais en dessous du seuil de pauvreté.

Les ouvriers et petits artisans qui parvenaient encore à envoyer leurs enfants dans une école privée n’en ont plus les moyens. De 40 élèves en moyenne, les classes de l’école publique d’Antsirabé sont passées à plus de 70. Il n’y a plus de fournitures scolaires – blouse, cartable, cahiers – offertes par le précédent gouvernement, ni de repas. Incapables de payer les sommes destinées à assurer une partie du salaire des enseignants, beaucoup de parents renoncent à envoyer leurs enfants à l’école. A midi, plus d’un enfant jeûne, privé de l’assiette de riz traditionnelle, dans un pays qui semble crouler sous les fruits et les légumes de toutes variétés. “Nous sommes des mendiants qui dorment sur un lit d’or et de saphirs”, disent les Malgaches en faisant allusion à la richesse de leur sous-sol.

 

Yves Petignat 

 

Source:Le Temps



REPÈRE Chronologie



■ 2009


17 janvier : après la fermeture de sa chaîne de télévision, Andry Rajoelina, le maire d’Antananarivo, dénonce des atteintes aux libertés par le président Marc Ravalomanana et se présente comme le porte-parole de la contestation.


26 janvier : affrontements entre les partisans du maire et la garde présidentielle. Rajoelina prend la tête d’une “Haute autorité de transition”.


17 mars : lâché par l’armée, Ravalomanana démissionne. Rajoelina se déclare “président de transition”. La                           communauté internationale dénonce un coup d’Etat et l’Union africaine (UA) suspend Madagascar.


■ 2010


7 juin : l’Union européenne (UE) suspend son aide au développement.


13 août : Rajoelina et une centaine de partis politiques malgaches signent un accord de sortie de crise qui prévoit notamment la tenue d’une élection présidentielle en mai 2011. Les trois principaux opposants rejettent cet accord.

Publié dans Afrique

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