Déchéance de nationalité pour les « tueurs de flics » : le coup de Com’ de Grenoble
A quoi sert la loi ? A changer la société ? Ou bien à faire de la communication politique en envoyant des messages à l'électorat ? Cette question se pose à l'occasion de l'anniversaire du désormais célèbrediscours de Grenoble de Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010. Outre la stigmatisation des Roms, le chef de l’État faisait clairement le lien entre criminalité et « origine étrangère » en déclarant notamment : « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique. » Sollicitée en ce sens dès la rentrée, l'Assemblée nationale votait finalement le 30 septembre 2010, sans enthousiasme et par une courte majorité, une mesure bien plus précise : l'extension de la déchéance de nationalité aux Français naturalisés depuis moins de dix ans condamnés pour meurtre d'agents dépositaires de l'autorité publique (voir notre premier article sur Rue 89).
On pouvait alors se poser la question juridique de la constitutionnalité de cette mesure eu égard au fait que l'article 1 de la constitution de la Vème République garantit « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». La question que l'on posera ici est plus simple : combien de policiers et de gendarmes sont réellement tués par des Français « d'origine étrangère » ? Autrement dit, cette loi a t-elle un fondement dans la réalité ou n'est-elle qu'un coup de Com' ?
Il faut lire le débat parlementaire qui a précédé le vote de cette disposition de septembre 2010. Le député PS des Landes Jean-Pierre Dufau pose cette question à Éric Besson (à l'époque ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire) : « Comme vous êtes féru de statistiques, vous avez sans doute lu les rapports effectués chaque année sur le sujet. Ma question est très précise : au cours des trois dernières années, (...) combien de crimes de ce type ont-ils été commis contre des forces de police, des magistrats ou des jurés ? À combien de ces criminels aurait été appliquée la déchéance de la nationalité selon les termes de l'article, autrement dit pour des personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de dix ans ? ». En d'autres termes, y a-t-il un fondement réel à cette mesure ? On constate alors que ni le Président, ni le ministre ni aucun député ne répondra jamais à la question de monsieur Dufau, ni durant les séances plénières, ni en commission parlementaire ni dans les médias.
Quid alors de la réalité du crime visé par cette loi ? En fait, monsieur Besson et monsieur Sarkozy ignoraient apparemment combien de policiers et de gendarmes sont tués par des personnes « d'origine étrangère » chaque année. De là à penser qu'en fait ils s'en moquaient, il n'y a qu'un pas. Pour se permettre de le franchir, encore faut-il s'assurer de la réponse à la fameuse question.
Dans la réalité, donc, certains de nos policiers et de nos gendarmes sont-ils réellement tués volontairement par des personnes de nationalité ou d'origine étrangère, et si oui comment ? Combien ? Etc. Nous n'avons pas pu obtenir de réponse satisfaisante concernant les gendarmes dont le cas est compliqué par le fait qu'ils interviennent aussi dans des opérations militaires extérieures aux frontières nationales. En revanche, nous avons pu trouver l'information concernant la police nationale, grâce au travail d'un capitaine de police dont nous avons parlé récemment sur ce blog à l'occasion de la publication de son livre Victimes du devoir. Les policiers morts en service.
Son travail consiste en effet à recenser les policiers morts en service afin de leur rendre hommage, sans aucune idéologie particulière (voir aussi son site Internet). On y trouve des détails sur les victimes, les circonstances et les auteurs de ces crimes. Le comptage est rendu imprécis d'une part par le fait que l'on ne peut pas toujours établir avec certitude la cause de la mort ni l'intention de tuer, d'autre part par le fait que l'on ne connaît pas toujours avec certitude la nationalité ou l'origine des criminels en question (et encore moins le nombre de ceux qui seraient « naturalisés depuis moins de dix ans »). Nous sommes cependant en mesure de produire les informations suivantes :
• Ce site recense 54 policiers tués en service de janvier 2000 à décembre 2010.
• Seuls 15 d'entre eux ont été tués volontairement (13 par balles, 2 fauchés par un véhicule). Les premières causes de mortalité sont en réalité les accidents de la circulation.
• Dans 4 affaires, on peut déterminer de façon quasi certaine que l'auteur était de nationalité étrangère (inclues les affaires liées à l'E.T.A.) et dans seulement 1 affaire qu'il était « d'origine étrangère ». Et encore, dans cette unique affaire on ne sait pas si le criminel était « Français naturalisé depuis moins de dix ans ».
• Les deux nouveaux décès enregistrés au premier semestre 2011 ne changent rien à cette analyse.
Nous sommes ainsi en mesure de répondre à la question que posait le député : si elle avait prévalu depuis déjà dix ans, la disposition votée par l'Assemblée nationale après le discours de Grenoble aurait concerné au mieux un cas de policier, peut-être zéro. La police a bon dos, c'est le moins que l'on puisse dire. Et la réponse à la question que nous posions au début de cet article ne fait guère de doute : c'était bien une opération de communication sans rapport avec la réalité invoquée.
Source: Le Monde