Déchéance politique

Publié le par espacerda.over-blog.com

Déchéance politique

 

On l'a déjà souligné, ici même, à plusieurs reprises : le débat sur le port du voile intégral - burqa ou niqab - par des femmes musulmanes est un piège. Un piège ouvert par le président de la République lui-même, le 20 juin 2009. Ce jour-là, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, Nicolas Sarkozy déclarait : "La burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République" ; ce n'est "pas un problème religieux", mais "de liberté et de dignité de la femme".

 

A l'automne, une mission parlementaire avait pris le relais, mais son rapport, en janvier, admettait qu'il n'existait pas "d'unanimité pour l'adoption d'une loi générale et absolue", réclamée par certains, notamment le président du groupe UMP à l'Assemblée. Au lendemain de la déroute de son camp aux régionales, le chef de l'État évoquait, à nouveau, une "loi d'interdiction conforme aux principes généraux de notre droit".

 

Hélas ! pour les partisans de l'interdiction générale, le Conseil d'Etat, consulté, a estimé que celle-ci "ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable". En dépit de cet avertissement, le chef de l'Etat et le gouvernement ont décidé de passer outre : le 21 avril, ils ont annoncé qu'un projet de loi serait déposé rapidement et discuté avant l'été. Le premier ministre, François Fillon, a même prononcé, à cette occasion, une phrase proprement stupéfiante : "On est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons que l'enjeu en vaut la chandelle" ! Aussitôt dit, aussitôt fait, par la grâce du ministre de l'intérieur - et des cultes.

 

L'"affaire de Nantes", qui défraye la chronique depuis trois jours, en témoigne. Une femme est verbalisée, à Nantes, parce qu'elle conduit sa voiture recouverte d'un niqab, une tenue malaisée, selon le code de la route. Le 23 avril, Brice Hortefeux demande à son collègue de l'immigration, Eric Besson, d'étudier une éventuelle déchéance de la nationalité française du conjoint de cette femme. Motif ? L'homme serait polygame et, via ses quatre "épouses" qui touchent l'allocation de parent isolé, fraudeur aux aides sociales.

 

Peu importe, même s'ils étaient avérés et condamnés par la justice, que de tels délits ne soient pas des motifs de déchéance de la nationalité française. Comme dirait le premier ministre, "on est prêts à prendre des risques".

 

Y compris celui de voir le piège de cette polémique se refermer sur ses initiateurs. Y compris celui de démontrer au grand jour, et sans précaution aucune, que l'application future de la loi annoncée sera l'occasion inévitable de dérapages incontrôlables. Y compris, quoiqu'en disent en choeur le chef de l'Etat et ses ministres, celui de stigmatiser la communauté musulmane dont la grande majorité recommande de régler le problème par la pédagogie et la persuasion. Y compris, enfin, celui de réveiller le jusqu'au-boutisme d'une infime minorité de musulmans ou de l'extrême droite. La burqa est un piège. Un piège stupide. Un piège indigne. Si l'on était aussi irréfléchi que M. Hortefeux, on demanderait volontiers sa "déchéance ministérielle".

 

Éditorial du Monde du 27.04.10

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