Quinzaine anti-sexiste et vertus de l'exemplarité

Publié le par ESPACERDA

 

Quinzaine anti-sexiste et vertus de l'exemplarité

 

La Une de certains quotidiens et magazines, ces derniers jours, avait quelque chose de consternant. Comme ces innombrables débats pour savoir ce qu’allait changer l’« affaire DSK ». On vit fleurir les poncifs sur la « parole qui se libère », et la « peur » de tous ces mâles qui avait trop longtemps cru en une divine impunité.

 

C’est que les médias, dans notre belle société du spectacle, fonctionnent par séquence. La première, depuis le désormais célèbre 14 mai, fut celle de la sidération et des interventions délirantes. Entre les théories complotistes et les atténuations douteuses, la barrière du ridicule fut allègrement franchie. Mais cette première séquence enclencha la deuxième, censée apporter la rédemption : la séquence du renouveau féministe et de la mise au ban des immondes machos qui, jusque là, opprimaient la moitié de la France. De ce point de vue, la lecture du Nouvel Observateur, et de son dossier spécial « la France est un pays abominable » avait quelque chose d’édifiant.

 

Entendons-nous bien. : l’auteur de ces lignes fut la première effarée par les déclarations des amis du grand homme, et de tous ceux qui n’y voyaient que les excès d’un « séducteur » un peu imprudent. Rappelons à ces sympathiques commentateurs que séduire, du latin « se ducere » attirer à soi, implique que l’on s’intéresse un minimum à l’autre, puisque le jeu consiste à susciter son intérêt par la puissance du verbe ou des regards, par l’interaction des attitudes. Bref, un jeu qui se joue à deux et n’a strictement rien à voir avec les propositions plus ou moins pressantes de celui pour qui toute porteuse de deux chromosomes X en vaut une autre, du moment qu’il s’agit d’assouvir une pulsion.

 

La confusion volontairement entretenue par les premiers commentateurs de l’affaire n’avait pour but que de dédouaner l’ami de trente ans, mais plus encore de faire oublier que tous avaient fermé les yeux sur ses travers les plus gênants pour sauver son image de messie de la gauche en particulier et de la France en général. Car les diverses remarques émanant de ses amis politiques, mais aussi de nombreux éditorialistes, n’avaient sans doute pas le caractère atrocement sexiste qu’ont voulu y voir les associations féministes revigorées ; ou du moins, cela ne constituait qu’un dommage collatéral. Il s’agissait avant tout d’un réflexe de caste, d’une réaction de déni face à l’effondrement du scenario qui les faisait tous rêver : l’élection sans combat du « plus brillant » d’entre nous. Et la consternation qui se lisait sur les visages ce lundi 16 mai au matin racontait l’histoire de cette année à venir, telle qu’elle avait d’ores et déjà été écrite par la coalition bancale des admirateurs de l’homme « à la stature internationale » et des adeptes du « tout sauf Sarkozy ».

 

On eut également droit à la variante « défense de la vie privée contre cette abominable entreprise de transparence totalitaire », de la part de gens qui, bien souvent, avaient trouvé la transparence tellement moderne et démocratique quand il s’était agi de dévoiler sur un site internet les secrets des Etats et de leur diplomatie. Et rassurons ces adeptes du journalisme d’investigation à géométrie variable : il n'était nullement question d’étaler la vie privée de qui que ce soit (encore que ce qui tombe sous le coup de la loi ne relève justement pas de la vie privée) mais de montrer un tout petit peu plus de circonspection devant le supposé homme providentiel.

 

Qui aura lu dans Marianne le récit par Denis Jeambar d’une rencontre entre la direction de ce journal et ledit grand homme (récit publié après la mort médiatique de DSK, bien sûr) comprendra que le respect de l’exercice démocratique (vis-à-vis des médias ou de ses adversaires aux primaires socialistes) n’était pas sa préoccupation première. Alors, pourquoi tant d’indulgence ? Il y avait là matière à passionnante réflexion.

 

Mais toute analyse du système politico-médiatique français, ou même des rapports de pouvoir sous-jacent, fut éclipsée par la formidable entreprise de remise à flot du féminisme mal en point. Et face à ceux qui tentaient pathétiquement de faire passer pour de la « séduction » ce qui relève évidemment du harcèlement, tout ce que la France compte d’associations et de consciences féministes se mit à dénoncer un harcèlement généralisé contre les femmes. Et de crier haro sur le mâle français, ce résidu archaïque du patriarcat triomphant. On vit même certaines se réjouir de la « peur » qui allait désormais étouffer toute velléité de manifestation virile.

 

Autant le dire tout de suite, si l’avenir que nous prépare l’affaire DSK est un monde où les hommes n’osent plus dire à une femme qu’elle est charmante, ou tenter un badinage complice, on va s’ennuyer ferme. Or, c’est exactement l’objet du dossier du Nouvel Observateur, qui dresse liste et typologie des coupables (le macho-beauf, le macho-réac…), photos à l’appui, en convoquant au tribunal les Liaisons dangereuses (dont le propos – mais qui le sait encore – était authentiquement féministe) ou la galanterie à la française.

 

Hélas, au Nouvel Observateur comme dans les associations féministes, on ne lit pas les ouvrages de Mona Ozouf ou de Claude Habib, et l’on ne comprend pas grand chose à la « galanterie », cette invention largement française, qui reposait sur l’intelligence et le beau langage, et constitue la forme la plus aboutie d’un rapport harmonieux entre les sexes. On préfère s’insurger contre les remarques pathétiques de quelques vieux kroumirs du monde politique, plutôt que de s’intéresser aux moyens politiques et économiques d’en finir avec les inégalités hommes-femmes, du développement de modes de garde abordables à la limitation du cumul des mandats. Et ne parlons pas des moyens culturels, comme une véritable réflexion sur l’éducation des filles et le rôle de la télévision, en une époque où Kate Moss et Britney Spears leur sont proposées en modèles.

 

Un jeune confrère me faisait part hier de son effarement devant les réactions de certaines femmes après ce grand lavage du linge machiste. Il se demandait même quand un intellectuel ou un philosophe lancerait une pétition de soutien à ces 90% de mâles français qui ne sont ni des harceleurs, ni des violeurs, qui font les courses et s’occupent de leurs enfants, et aiment de temps en temps faire un compliment respectueux à une jolie femme. Que les hommes se rassurent, il est également beaucoup de femmes qui apprécient les hommages, et qui seraient fort marries de n’être pas plus regardées qu’une table ou une chaise.

 

Mais les uns et les autres gagneraient à ce que l’analyse de cette curieuse séquence médiatique mette en lumière les errements d’un système un peu trop enclin à se protéger. Il ne s’agit nullement, comme on l’entend depuis la tonitruante déclaration de Luc Ferry (qui ne faisait que dédouaner la presse en expliquant que, sans preuve, on ne peut accuser personne, et qui, pour cela, s’est fait clouer au pilori par cette même presse), de laisser libre cours à nos bas instincts voyeuristes, mais de nous souvenir que l’exemplarité des puissants est nécessaire à un régime républicain. L’exigence d’un minimum de vertu, n’en déplaise aux adeptes de l’entre soi, ne nous fait pas sombrer dans une nouvelle Inquisition, mais rappelle à ceux qui gouvernent que leur vocation est de servir, et non de se servir.

Natacha Polony

Source : Figaro Blog
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